1 Introduction

1.1 Généralités

Un bioréacteur (Fig. 1) est une cuve dans laquelle se multiplient des micro-organismes (levures, bactéries, champignons, algues…) qui consomment des substrats ou se nourrissent d’autres organismes pour se développer, et qui utilisent des précurseurs\(^*\) et des activateurs\(^*\) pour produire de la biomasse, synthétiser des métabolites ou encore bioconvertir des molécules d’intérêt (e.g., dépollution). Grâce au bioréacteur, il est possible de contrôler les conditions de culture (température, pH, aération…) et, de ce fait, de récolter des données expérimentales relativement fiables pour le suivi de la croissance bactérienne et/ou de la réaction chimique d’intérêt.

\(^*\) Précurseur : composé chimique qui est consommé par une réaction (ou une voie métabolique) et qui est transformé en un ou plusieurs autres composés.

\(^*\) Activateur : substance qui, mélangée en proportion très faible, accélère la réaction chimique (e.g., enzymes elles-mêmes ou co-facteurs enzymatiques comme des ions ou des vitamines).

Fig. 1 : Schéma de principe d’un bioréacteur

On distingue trois modes d’alimentation classiques des bioréacteurs (Fig. 2) :

  • Le mode “Batch” : à l’instant initial, la cuve est remplie par le milieu de culture stérilisé (contenant substrats, précurseurs et activateurs), et les espèces sont introduites. La croissance des micro-organismes se déroule ensuite sans addition supplémentaire de milieu. Le volume reste constant. On parle alors de fermenteur. En général, la productivité est faible. En fin de processus, le fermenteur est vidé et son contenu est remplacé.

  • Le mode “semi-continu” (ou “Fedbatch”) : à l’instant initial, la cuve est remplie d’un volume initial \(V_0\) puis alimentée en continu par le milieu de culture selon un débit réglé de façon à ce que la concentration en substrat soit constante et ce jusqu’à son volume final. L’alimentation est alors coupée. Le fedbatch permet en pratique un meilleur contrôle des conditions de croissance, un gain de temps et la possibilité de modifier le milieu en cours de culture. Il y a par contre un risque important de contamination externe.

  • Le mode “continu” (ou chémostat) : c’est le mode le plus largement employé dans le domaine de la dépollution biologique de l’eau (Bernard, 2004). Caractérisé par un volume constant, un chémostat est soumis à un soutirage du milieu de culture égal au taux d’alimentation de la cuve. Son fonctionnement a été décrit dès 1950 par Novick et Szilard.

Fig. 2 : Les différents modes de fonctionnement d’un bioréeacteur construit par l’homme ou d’un bioréacteur naturel (lac). D’après Bernard (2004).

Dans ce qui suit, nous considérerons des bioréacteurs infiniment mélangés (au contenu supposé homogène) dont on peut modéliser le fonctionnement au moyen d’équations différentielles ordinaires, c’est-à-dire en considérant le temps comme une variable continue. Les variables modélisées sont généralement la biomasse bactérienne (désignée par \(N(t)\) ci-après) ou la vitesse de la réaction enzymatique (désignée par \(v\) ci-après).

1.2 Quelques mots sur la modélisation

La modélisation des systèmes biologiques est une tâche extrêmement délicate car, contrairement à la physique, il n’existe pas de lois admises et reconnues par tous caractérisant l’évolution des phénomènes auxquels on s’intéresse.

La modélisation est la démarche scientifique qui permet l’élaboration d’un modèle (Pavé, 2012). Elle est le plus souvent fondée sur les mathématiques, et même la partie des mathématiques qui traite des variables et paramètres à valeurs dans \(\mathbb{R}\). Pourtant, d’autres formalismes peuvent parfois s’avérer utiles comme les représentations schématiques dans les modèles de décision.

Modéliser, ce n’est pas théoriser. On peut modéliser sans théoriser et inversement. Par contre, un modèle est très souvent un outil précieux dans une démarche théorique. De ce fait, la modélisation intervient dans les grandes fonctions de la recherche scientifique :

  • Détecter et énoncer des questions ;

  • Transformer en problème et acquérir des données et des connaissances ;

  • Définir des actions et étudier leurs conséquences.

Le modélisateur est celui qui modélise ; il est spécialiste d’une stratégie de construction et d’utilisation de modèles : il maîtrise une grande variété de techniques et de méthodes; il s’inspire du problème biologique pour proposer un modèle (et non l’inverse) ; il s’implique dans la connaissance des aspects biologiques de ce qu’il modélise.

Le modélisateur modélise en proposant des modèles. Un modèle est une représentation symbolique de certains aspects d’un phénomène du monde réel. Ce n’est pas une fin en soi mais un outil parmi ceux de la boîte à outil du modélisateur. Il est fortement couplé à l’expérience et/ou à l’observation. En aucun cas il ne doit être le prétexte de décisions prises a priori ; un modèle ne peut être qu’un instrument d’aide à la décision (technique ou politique). Par définition, il sera donc toujours faux.

Pourtant, pour être efficace un modèle doit avant tout être opératoire, c’est-à-dire permettre de répondre aux objectifs initiaux, être interprétable en termes biologiques et être traduisible en termes simples et accessibles à tous.

L’élaboration d’un modèle doit donc prendre en compte :

  • Le phénomène biologique à étudier ;

  • Le formalisme choisi ;

  • Les objectifs (que veut-on faire du modèle ?) ;

  • Les données et les connaissances a priori, disponibles ou accessibles par l’expérience ou l’observation.

Une fois le modèle écrit, le travail du modélisateur consiste à :

  • Manipuler le modèle pour étudier ses propriétés ;

  • Établir des relations avec d’autres représentations (graphes, simulations) ;

  • Interpréter et confronter les résultats avec la réalité biologique, le plus souvent vue au travers des données expérimentales.

1.3 Ce que nous allons faire

L’objectif de ce cours est donc de vous initier à la modélisation au travers de la description des processus qui caractérisent le fonctionnement d’un bioréacteur. Nous nous intéresserons d’abord à la croissance des micro-organismes présents à l’intérieur d’un bioréacteur ; puis nous examinerons la dynamique couplée de ces micro-organismes à celle de la quantité de substrat disponible ; enfin, nous nous intéresserons à la vitesse d’une réaction enzymatique à l’image de celles que l’on trouve au sein d’un bioréacteur.

Ces mises en situation biologiques nous permettrons d’aborder des aspects plus méthodologiques : la résolution exacte d’équations différentielles ordinaires, l’étude qualitative de systèmes dynamiques et la régression non linéaire, c’est-à-dire l’ajustement d’un modèle à des données expérimentales pour en estimer les paramètres. Ces points seront traités conjointement par l’utilisation d’outils mathématiques et de simulations numériques qui seront réalisées à l’aide du logiciel R et de son interface utilisateur RStudio.

Pour éviter au maximum de passer du temps sur les aspects techniques, nous vous proposons ce cours sous la forme d’un tutoriel à suivre pas à pas ; il intègre directement les outils R dont vous aurez besoin sous la forme d’une interface Shiny.